La réforme de l’orthographe
On nous parle régulièrement de réforme de l’orthographe − de celle de 1990 en particulier −, de simplifications, de plus grande logique, de clarifications au sein de la langue française. On entend des débats passionnés, et même passionnants, des voix pour, des voix contre.
Qu’en est-il ? Faut-il vraiment prendre de nouvelles habitudes ? Modifier l’orthographe de mots que l’on savait pourtant écrire sans erreur ? Ceux qui ne savaient pas, sauront-ils davantage ?
Vingt-trois ans1 après cette « tentative » de réforme, voici un petit point sur la question et des liens utiles pour aller plus loin.
C’est l’un des maux intellectuels de notre siècle : l’orthographe française est malmenée, dédaignée, ignorée. L’aptitude des Français à écrire leur propre langue correctement décline depuis plusieurs décennies. Du collège à l’université, de l’ouvrier au cadre supérieur, les lacunes sont partout et concernent aujourd’hui une large part de nos concitoyens.
Si beaucoup ne voient là rien de primordial, à l’ère de l’Internet et du « tout communication », le problème est devenu tel qu’il devient un handicap social généralisé, une entrave à la crédibilité professionnelle, voire un frein à l’embauche. À tel point que l’on voit fleurir les cours d’orthographe dans les universités et les entreprises ! De nouvelles activités lucratives sont ainsi en plein essor, comme les stages et le coaching en orthographe.
Notre langue, issue largement du latin mais pas que2, n’a cessé d’évoluer au cours des siècles, et l’Académie française, institution fondée par le cardinal de Richelieu en 1635, fut chargée dès sa création de « veiller sur la langue française ». Elle participe de nos jours aux commissions spécialisées des pouvoirs publics et a entre autres pour rôle d’examiner et d’approuver l’introduction de néologismes3 – pour décrire de nouvelles notions et technologies, comme négationnisme, discothèque, photovoltaïque…, et contrecarrer l’influence croissante de l’anglais, par exemple avec baladeur pour Walkman, jeu décisif pour tie-break, courriel pour e-mail...
En 1990, le Conseil supérieur de la langue française, tout juste créé pour conseiller le gouvernement sur la question des évolutions de la langue, propose des rectifications touchant environ 2 000 mots (soit 5 % de notre vocabulaire courant). Ces rectifications furent approuvées et recommandées par le Conseil international de la langue française4 et par l’Académie française, laquelle souhaitait toutefois qu’elles ne soient pas imposées par un texte de loi, mais au contraire « soumises à l’épreuve du temps ». Vous trouverez ici une description des rectifications proposées. Ces rectifications sont donc recommandées mais non obligatoires, ce qui signifie qu’aucune des deux graphies (l’ancienne comme la nouvelle) ne peut être considérée comme fautive.
En raison sans doute en partie de la recommandation de l’Académie française de ne pas légiférer, mais aussi de la levée de boucliers que la réforme a suscitée, force est de constater que les rectifications ont très peu été appliquées en France jusqu’à présent (bien plus en Belgique et en Suisse, pays également concernés par les propositions de rectifications). Et ce, malgré l’étendue somme toute limitée des modifications (« en moyenne, moins d’un mot par page d’un livre ordinaire », selon l’APARO5), les plaidoyers d’éminents spécialistes, le passé de réformes déjà long et riche de notre langue (un aperçu ici) et même le Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale de juin 2008, stipulant que « l’orthographe révisée est la référence ».
Depuis 1990, rares sont les dictionnaires, les ouvrages sur l’orthographe, la grammaire, les difficultés de la langue française ou même les manuels scolaires ayant intégré la nouvelle orthographe – ou du moins que de façon très limitée, partielle ou sous forme d’annexes. Les éditeurs de manuels scolaires, par exemple, font presque tous de la résistance. Est-ce par peur de faire fuir les enseignants-acheteurs récalcitrants ? Ou plus noblement pour ne pas exposer les élèves à des orthographes multiples selon les sources de lecture (manuels scolaires, livres de lecture), alors même que le but de la réforme était de simplifier l’apprentissage et l’écriture du français ?
Seuls la plupart des correcteurs informatiques ont intégré la nouvelle orthographe dans leurs versions les plus récentes et ont reçu le label de conformité correspondant.
En tout état de cause, très peu de publications peuvent se prévaloir du logo créé tout spécialement pour la réforme de 1990 par l’association suisse Association pour la nouvelle orthographe.
Pire ! Les Français sont majoritairement contre cette réforme, d’après un sondage réalisé en 2009 !
Les temps changent, cependant ! Et, plus de vingt ans après le lancement de la réforme, notre célèbre Petit Larousse illustré a intégré dans son édition 2012 (parue en juin 2011) la nouvelle orthographe directement aux entrées des mots concernés (introduite par le symbole ≈) en lieu et place du carnet spécial de onze pages introduit à partir de l’édition 2009. Dans le contexte actuel soit de rejet soit d’indifférence populaire au sujet de la réforme, cette révolution dans l’un de nos grands classiques de la langue française est courageuse. Elle reste toutefois incomplète6 et prudente, dans la mesure où tous les articles sont rédigés avec l’ancienne graphie. De son côté, l’éditeur Hatier a récemment lancé un conjugueur en ligne avec options orthographes traditionnelle et rectifiée.
Alors, quelles solutions pour une simplification de notre orthographe et une amélioration du niveau général des Français en… français ? À quand les vingt-et-un charriots de nénufars et d’ognons sans ambigüités ? La réforme est-elle de salut public ou un appauvrissement de la langue de Molière ? L’évolution de notre orthographe est-elle inéluctable ou sacrilège ?
Personnellement, je ne suis pas pour une simplification à outrance du français, sous prétexte de voir moins d’erreurs dans les écrits des Français. J’aime le chapeau des maîtres et maîtresses. J’aime le ph de mon prénom. J’aime l’étymologie, à la fois chargée d’histoire(s) et aide à l’écriture, justement – même si l’évolution étymologique de certains mots n’est elle-même pas toujours des plus logiques (certaines orthographes même anciennes ayant d’ailleurs fait l’objet de décisions « esthétiques » arbitraires !). Cependant, reconnaissons, en regardant dans le détail les rectifications proposées en 1990 – exclusivement par un aréopage de personnalités reconnues dans le monde des lettres, ne l’oublions pas –, que la nouvelle orthographe recommandée remplit bien son objectif de cohérence et de simplification, sans céder à des modifications excessives et difficilement justifiables.
Cela étant dit, il va sans dire que je respecte les choix orthographiques de mes clients, tout en veillant à la cohérence de ces choix et à l’homogénéité des graphies utilisées (si l’on choisit d’écrire maitresse, il me semble logique d’opter pour aout, paraitre, gout..., et bien sûr de corriger une éventuelle et pourtant légitime maîtresse).
Pour aller plus loin, je vous recommande les lectures suivantes (parmi beaucoup d’autres que l’on peut trouver sur l’Internet, chacun fera ses propres investigations) :
http://www.orthographe-recommandee.info/index.htm
http://www.academie-francaise.fr/langue/index.html
http://sweet.ua.pt/~fmart/aparo.htm
1Cet article a été initialement écrit en 2013 puis un peu modifié par la suite.
2Il existe beaucoup d’ouvrages sur les origines diverses de la langue française. Je vous recommande par exemple la très complète Story de la langue française, de Jean Pruvost aux éditions Tallandier (2020), ou, pour une lecture plus rapide et ludique, Les Mots immigrés d’Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini chez Stock (2022).
3Tout mot de création récente ou emprunté depuis peu à une autre langue ou toute acception nouvelle donnée à un mot ou à une expression qui existaient déjà dans la langue.
4Le CILF, association créée en 1968 à Paris et dans laquelle sont représentés tous les pays francophones, s’est donné pour mission « d’enrichir la langue française et de favoriser son rayonnement ».
5Association pour l’application des recommandations orthographiques, http://sweet.ua.pt/~fmart/aparo.htm.
6En toute logique, les rectifications concernant un point de grammaire ne sont pas mentionnées (l’ajout du trait d’union à tous les adjectifs numéraux et l’accord du participe passé du verbe laisser). D’autre part, beaucoup d’incohérences ont été relevées par des passionnés dans le choix des rectifications présentées dans le dictionnaire (Cf. http://orthogrenoble.net/camille/entrees-Petit-Larousse-2012.html). Pour ma part, j’ai remarqué quelques cas particuliers : les deux graphies données possibles (déjà dans les éditions précédentes) pour événement (avec évènement) et pour le pluriel du mot match, à savoir match(e)s, sans mention de ce que préconise la nouvelle orthographe (exclusivement évènement et matchs), ou des mots étant déjà proposés avec la nouvelle graphie, et ce depuis plusieurs années, sans mention de la réforme (exemple : extraterrestre sans trait d’union, l’invariabilité de miss).
« C’est quand les accents graves tournent à l’aigu que les sourcils sont en accents circonflexes. »
Pierre Dac, humoriste et comédien français (1893-1975)
Date de dernière mise à jour : 2023-05-02