écrivain

  • Un livre-pépite parmi des millions d’autres

    • Le 2013-11-14

    Partageons, partageons nos lectures ! Et dire qu’il fut un temps où je considérais la lecture comme un plaisir solitaire.

    Depuis mon expérience mère-fille du prix Gulli du roman, je m’intéresse de plus près à la littérature jeunesse, et ma fille, en plus de me signaler systématiquement les erreurs qu’elle relève dans les livres, maintenant me conseille des lectures. C’est drôle, d’avoir longuement discuté littérature avec moi, elle est maintenant capable de prévoir ce qui va me plaire dans ses toujours aussi voraces lectures.

    Cette semaine, une nouvelle copine lui a prêté de nouveaux livres. Parmi ceux-là, 22 !. « Tu devrais lire ce livre, m’a-t-elle simplement dit, je pense qu’il va te plaire. »image-22.jpg

    Bingo ! J’ai lu et j’ai beaucoup aimé ! Car ce n’est pas juste une jolie histoire pour enfants...

    Il a sa place dans ce blog, 22 !, ce livre de Marie-Aude Murail, paru chez l’École des Loisirs en 2008.

    C’est l’histoire d’un grand-duc qui fait interdire la lettre « v » dans son duché. Pourquoi ? Parce que, à la naissance de son riquiqui fils Ivan, un jeune poète en herbe écrit une chanson un peu moqueuse qui connaît un grand succès parmi les gens du peuple. La chanson parle d’Ivan, de vent, et vlan, et vlan, et vlan !… Vexé (oups !), le grand-duc, voulant éviter (double oups !) que son bourreau ne soit débordé à couper les têtes de tous les moqueurs, a cette brillante idée d’interdire la lettre « v »… et (en « bon despote ») s’y contraint lui-même, ce qui lui v..., occasionne (ouf !) moult migraines. Essayez donc de parler sans « v », vous ! Ce n’est pas une mince affaire !

    Alors, bien sûr, on peut voir dans ce livre un plaidoyer contre toutes les censures, avec cette « police de la répression du v ». D’autant que ce titre, 22 !, évoque clairement l’expression argotique « 22 ! V’là les flics ! » (bien que 22 soit ici en premier lieu le rang du « v » dans l’alphabet ! Bien joué !)

    Ce qui me plaît, à moi, c’est l’art de jouer avec les mots. L’auteur s’amuse et nous amuse.

    Cette drôle de loi rappelle le jeu de mot appelé « lipogramme », qui consiste à se contraindre à écrire un texte sans l’une ou l’autre des lettres de lalphabet. Le plus connu des lipogrammes est sans doute le roman La Disparition, de Georges Perec, écrit sans utiliser la lettre « e », et chacun imagine la gageure que cela représente en français (cet orthobillet est bien un lipogramme sans la 23e lettre de l’alphabet (le « double-v ») , mais où est l’effort ?).

    Certes, comme le lipogramme exalte la créativité, la disparition du « v » au grand-duché encourage la recherche de synonymes : plus de vent, mais de la bise, du zéphire, de la tramontane… Mais il faut bien le dire, la perte d’une lettre est une calamité !

    Le fautif troubadour, Vladimir devenu Ladimir, postule d’abord, incognito, au nouveau métier en vogue, euh... à la mode : « correcteur de la chose écrite », car il faut aussi faire disparaître le « v » des livres, euh… des choses écrites. Et il se met à réécrire, lui qui rêvait d’être écrivain (lui qui songeait à se faire romancier...). Mais, déprimé, le « v » le démangeant, décidément, il se retire dans une « vieille villa avec véranda » au creux d’une « vallée venteuse ». Oh ! là là ! Allez dire ça sans « v » !

    Vous l’aurez compris, ce livre est tout à fait réjouissant, de ceux que j’aime tout particulièrement, car au plaisir de lire il cumule la perception de celui que l’auteur a indubitablement pris à l’écrire.

    De plus, et ce n’est pas là son moindre intérêt, il permet aux jeunes lecteurs, public destinataire, rappelons-le, de cette aventure insolite, de réfléchir sur leur propre langue et sur la richesse du vocabulaire qu’ils emploient sans même y penser.

    Alors, merci ma fille pour ce conseil de lecture ! À mon tour, ici, je partage le plaisir que m’a apporté cette petite pépite.

    Lisez et faites lire !

  • J’ai découvert monsieur Anouar Benmalek

    • Le 2013-03-06

    Il y a quelques jours, je suis allée écouter Anouar Benmalek, un écrivain, poète et journaliste franco-algérien, lors d’une rencontre littéraire, une séance de « perco’lecteurs », à la médiathèque des Mureaux.

    Anouar Benmalek est un ancien professeur de mathématiques devenu poète pour séduire une femme parlant le sanscrit, car, selon lui, les mathématiques n’étaient rien moins que séduisantes. En fin de compte, la femme était mythomane et dénuée de tous les talents admirables qu’elle s’était inventés, et Anouar Benmalek est resté avec sa « mauvaise » poésie sur les bras (c’est lui qui le dit), avec l’envie d’en écrire davantage et plein de gratitude, au fond, pour sa muse involontaire. Un grand écrivain était né. À quoi ça tient ?!

    Je suis confuse. Je n’avais jamais entendu parler de ce monsieur que pourtant d’aucuns qualifient de « nobélisable », pas plus que je n’avais lu ses livres, que pourtant la critique louange. Mais on me propose de rencontrer un écrivain scientifique de formation, il n’en faut pas plus pour éveiller ma curiosité et, avouons-le tout bas, un soupçon de jalousie.

    Le personnage est modeste et drôle. « À quoi cela sert-il d’écrire ? », demande la bibliothécaire, un brin provocatrice. « À rien ! », répond-il, non moins provocateur, mais tout de suite il s’explique : « Ça ne sert à rien d’écrire, mais c’est l’honneur de notre espèce de se détacher de l’utile », et l’auditoire d’acquiescer admiratif.

    Tous ses livres sont violents malgré lui, car, dit-il, la vie est violente. Il voudrait, il essaie pourtant d’écrire des love stories. Il sourit. Il aimerait pouvoir s’adonner au lyrisme pur. Mais il n’y a rien à faire, ses histoires prennent place dans l’Histoire, et il est incapable de s’affranchir du contexte historique dans lequel évoluent ses personnages. Au point de transformer totalement un roman en cours à la lecture d’une brève dans le journal…

    Mais il insiste, tentant sans doute de se convaincre, ou de se rassurer lui-même, il y a toujours une love story dans ses histoires (« tout de même menée à rude épreuve ! », souligne l’autre bibliothécaire) ; la love story est indispensable pour supporter la violence. Car « certains événements ne sont supportables que si par ailleurs il y a de l’espoir ».

    Mais, s’il n’est pas lyrique, l’homme n’est pas non plus cynique ; il préfère l’ironie, « seule arme contre la bêtise ». Et se battre, cet homme a dû et su faire. Décrié, conspué, menacé de mort, le journaliste et écrivain engagé, admiré sur le sol français, membre fondateur du Comité algérien contre la torture, a soulevé des vagues insensées de haine intégriste dans le Moyen-Orient.

    N’empêche, pour toute réaction, il hausse les épaules et mentionne l’extrême courage de ces gens considérés comme incultes sauvant, au péril de leur vie, les livres des bibliothèques de Tombouctou ; et il continue d’écrire coûte que coûte contre la bêtise et pour lui-même.

    Parler de son dernier ouvrage transforme sa verve de modeste courageux en confidences timides ; il rougit, presque mal à l’aise.

    C’est une lettre à sa mère, chargée du regret de ce qu’il n’a pas dit à temps, une revanche aussi pour elle, qui a traversé cette Histoire qu’il raconte et qui l’a bien maltraitée, sa mère.

    La violence du cœur des hommes m’est insupportable à admettre, même dans les livres, et d’autant moins lorsqu’elle n’est pas que le fruit de l’imagination d’un auteur tourmenté. Par conséquent, monsieur Benmalek, il n’est point sûr que je m’aventure un jour dans vos love stories. Mais ce livre-là, Tu ne mourras plus demain, je le lirai. Parce qu’à moi aussi ma chère maman me manque, et que lire le manque des autres est une façon de combler le sien, de manque, le mien à tout le moins.

    Une heure et trente minutes ont passé, déjà. C’était passionnant et enrichissant. Merci les perco’lecteurs, merci Monsieur Anouar Benmalek.