lecture

  • Je vous écoute avec les yeux

    • Le 2019-06-04

    Chers visiteurs,

    certains d’entre vous le savent, je suis malentendante, et même une sourde en devenir, quoiqu’un appareil auditif me permette aujourd’hui de faire illusion dans la plupart des situations… que je n’évite pas.

    J’entends très mal, donc, mais je n’en suis pas moins à votre écoute. Certes, je décline vos invitations à échanger au téléphone ; certes aussi, je ne vous propose pas mes services dans les allées bruyantes des salons ; certes encore, il me faut choisir mon siège – celui à votre gauche – lorsque je viens vous rencontrer au bureau. Je suis à votre écoute…, mais de préférence par écrit !

    Fort heureusement, mon métier ne demande pas tant une bonne audition qu’une bonne vue, une vue formée et exercée, capable de traquer la faute, l’erreur, l’imprécision, l’oubli... « Un œil de lynx ! », me dit-on…

    Ce qui m’amène à signaler/rappeler que le lynx, superbe animal au demeurant, n’a qu’une vision bien ordinaire, et ne mérite donc pas d’être encensé en cela.

    Car, en réalité, l’expression nous vient de la mythologie grecque. Et plus précisément d’un certain Lyncée (« Lunkeos », en grec), compagnon de Jason parti en quête de la Toison d’Or, pilote de navire de son état, et surtout doté du pouvoir de voir à travers les nuages, les rochers et les profondeurs marines… Ah ! Quel don que celui d’avoir les yeux de Lyncée !

    Lunkeos/lynx, un duo de paronymes (mots de sens différents mais de sonorités voisines) ayant conduit au fil du temps au superpouvoir supposé des félins à pinceaux de poils !

    Notez d’ailleurs que la confusion ne date pas d’hier, puisque Jean de la Fontaine en personne l’a reproduite dans sa fable La Besace (en 1668 !) :

    Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,

    Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes

    On se voit dun autre œil quon ne voit son prochain.

    Moralité, tâchant de n’être pas taupe, espérant ne pas le devenir, je me tiens à votre écoute écrite pour tout besoin de correction professionnelle !

  • Un livre-pépite parmi des millions d’autres

    • Le 2013-11-14

    Partageons, partageons nos lectures ! Et dire qu’il fut un temps où je considérais la lecture comme un plaisir solitaire.

    Depuis mon expérience mère-fille du prix Gulli du roman, je m’intéresse de plus près à la littérature jeunesse, et ma fille, en plus de me signaler systématiquement les erreurs qu’elle relève dans les livres, maintenant me conseille des lectures. C’est drôle, d’avoir longuement discuté littérature avec moi, elle est maintenant capable de prévoir ce qui va me plaire dans ses toujours aussi voraces lectures.

    Cette semaine, une nouvelle copine lui a prêté de nouveaux livres. Parmi ceux-là, 22 !. « Tu devrais lire ce livre, m’a-t-elle simplement dit, je pense qu’il va te plaire. »image-22.jpg

    Bingo ! J’ai lu et j’ai beaucoup aimé ! Car ce n’est pas juste une jolie histoire pour enfants...

    Il a sa place dans ce blog, 22 !, ce livre de Marie-Aude Murail, paru chez l’École des Loisirs en 2008.

    C’est l’histoire d’un grand-duc qui fait interdire la lettre « v » dans son duché. Pourquoi ? Parce que, à la naissance de son riquiqui fils Ivan, un jeune poète en herbe écrit une chanson un peu moqueuse qui connaît un grand succès parmi les gens du peuple. La chanson parle d’Ivan, de vent, et vlan, et vlan, et vlan !… Vexé (oups !), le grand-duc, voulant éviter (double oups !) que son bourreau ne soit débordé à couper les têtes de tous les moqueurs, a cette brillante idée d’interdire la lettre « v »… et s’y contraint lui-même, ce qui lui v..., occasionne (ouf !) moult migraines. Essayez donc de parler sans « v », vous ! Ce n’est pas une mince affaire !

    Alors, bien sûr, on peut voir dans ce livre un plaidoyer contre toutes les censures, avec cette « police de la répression du v ». D’autant que ce titre, 22 !, évoque clairement l’expression argotique « 22 ! V’là les flics ! » (bien que 22 soit ici en premier lieu le rang du « v » dans l’alphabet ! Bien joué !)

    Ce qui me plaît, à moi, c’est l’art de jouer avec les mots. L’auteur s’amuse et nous amuse.

    Cette drôle de loi rappelle le jeu de mot appelé « lipogramme », qui consiste à se contraindre à écrire un texte sans l’une ou l’autre lettre. Le plus connu des lipogrammes est sans doute le roman La Disparition, de Georges Perec, écrit sans utiliser la lettre « v », et chacun imagine la gageure que cela représente en français (cet ortho-billet est bien un lipogramme sans la 23e lettre de l’alphabet (le « double-v ») , mais où est l’effort ?).

    Certes, comme le lipogramme exalte la créativité, la disparition du « v » au grand-duché encourage la recherche de synonymes : plus de vent, mais de la bise, du zéphire, de la tramontane… Mais il faut bien le dire, la perte d’une lettre est une calamité !

    Le fautif troubadour, Vladimir devenu Ladimir, postule d’abord, incognito, au nouveau métier en vogue, euh... à la mode : « correcteur de la chose écrite », car il faut aussi faire disparaître le « v » des livres, euh… des choses écrites. Et il se met à réécrire, lui qui rêvait d’être écrivain (lui qui songeait à se faire romancier...). Mais, déprimé, le « v » le démangeant, décidément, il se retire dans une « vieille villa avec véranda » au creux d’une « vallée venteuse ». Oh ! là là ! Allez dire ça sans « v » !

    Vous l’aurez compris, ce livre est tout à fait réjouissant, de ceux que j’aime tout particulièrement, car au plaisir de lire il cumule la perception de celui que l’auteur a indubitablement pris à l’écrire.

    De plus, et ce n’est pas là son moindre intérêt, il permet aux jeunes lecteurs, public destinataire, rappelons-le, de cette aventure insolite, de réfléchir sur leur propre langue et sur la richesse du vocabulaire qu’ils emploient sans même y penser.

    Alors, merci ma fille pour ce conseil de lecture ! À mon tour, ici, je partage le plaisir que m’a apporté cette petite pépite.

    Lisez et faites lire !